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Pilote

Pilote – #01

Le début d’un projet de recherche c’est aussi vertigineux qu’une page blanche ou qu’une première rencontre.

On ne sait pas quoi dire et encore moins où cela va nous mener…

Pilote – #02

Pour obtenir les fonds, on a pourtant raconté des choses brillantes de clarté, de type :

ou encore :

Histoire de rendre évidente la nécessité de la recherche à faire.

Pilote #03

Dans le genre, celle-là, c’est ma préférée, je me sens vraiment intelligente :

Pilote #04

En gros, il faut que je fasse l’inventaire des établissements de bains-douches pour les villes belges depuis 1850.

Et puis que j’arrive à en pousser les portes pour comprendre ce qu’il s’y passait, qui s’y lavait, comment, avec quels usages, quelles normes et quelles pratiques, différenciés ou non ?

Pilote #05

Moi j’aime particulièrement me poser la question des sensations et des expériences.

Qu’est-ce que ça signifiait d’aller aux bain-douches ? Quelles odeurs, quels sons, quels gestes, quelles émotions et quels sentiments y étaient associés ? Qu’est ce qui changeait si on était une femme, un homme ? Jeune, vieux ? Riche, pauvre ?

Pilote #06

Alors en bonne historienne, souffrant du syndrome de l’imposteur et de la déformation professionnelle largement répandue des notes en bas de page,

mon réflexe le plus immédiat est de me référer à des ouvrages de gens plus sérieux et, c’est sûr, certainement plus compétents que moi.

Pilote #07

Je consulte donc compulsivement les principales bases de données dont je maitrise le moteur de recherche.

https://www.jstor.org/, je sais, c’est mal, mais ça m’a toujours paru plus compliqué.

Pilote #08

En parcourant la bibliographie, je tombe sur cette photo dans un article.
Elle me saisit.
C’est aussi un peu moi qui me lave en 1908.

Pilote #09

En lisant ce livre, je comprends une bonne fois pour toutes que le bain-douche, ce n’est ni le bain ni la douche du 19e siècle.
Par contre, c’est un peu comme la douche du 21e siècle.

Bref, « c’est de l’eau tombant d’une pomme d’arrosoir en pluie bienfaisante, extrêmement diluée ». Un dispositif bien distinct qui se détache du monde carcéral – où il est inventé – et du monde médical et thérapeutique – qui le pratique énormément – pour se définir comme l’instrument de la propreté populaire, économique en place, en temps et en eau.  

Pilote #10

Je le sentais hein, mais ça fait toujours du bien de le voir écrit noir sur blanc par quelqu’un d’autre.

Là, c’est clair.

Pilote #11

Dans un couloir, un collègue m’explique mon sujet : « Combien la pratique du bain est passée des romains aux arabes pour revenir en Occident au Moyen-Âge et blablabliblabou… ».

Je suis complètement larguée. Je panique. J’essaye de respirer le plus calmement possible. J’affiche un sourire figé et réussis à formuler un vague : « havoilaquiestintéressantetquejenesavaispas ».

La légitimité scientifique est un éternel combat qui se rejoue tous les jours de la vie des chercheurs.

Pilote #12

Alors une fois envisagés la vastitude des possibilités, l’étendue des champs à couvrir, l’épaisseur des questions à se poser, le sens de la quête.

Une fois remis en question sa profession, sa place, ses compétences, le rôle social de l’historienne et le bienfondé de son métier…

Pilote #13

…Il faut se raccrocher à quelque chose de tangible, une tâche un peu triviale, bien définie, circonscrite…

Dans ces cas là, j’aime bien faire des listes.
Des calendriers aussi.

Ça me rassure.

Pilote #14

Tout était pourtant bien décrit, planifié, dans le projet déposé aux instances financières. Pourquoi je sais plus réfléchir moi maintenant ?

Bon, respire, ça va aller, respire, commençons par le commencement, respire.