S01 – #01

Ça y est ! Je tiens un fil, une brèche, une ouverture, une poignée de porte : Les Almanachs.
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Les Almanachs du commerce et de l’industrie ce sont les ancêtres des bottins de téléphone (qui sont eux-mêmes les ancêtres de Google, au cas où des moins de 20 ans liraient ces lignes). Mais au 19e siècle, c’était plus chouette, ils étaient moins avares de caractères. Surtout, il y a un index par profession, une entrée à « bains publics » et ils sont numérisés, c’est-à-dire accessibles avec n’importe quelle connexion internet. C’est le pied, du pain béni, une source en or.
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Dans les Almanachs, on trouve les bains publics après les marchands de bâches et avant les fabricants de balances.
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Parfois on voit aussi des pages de jolies réclames, on en aimerait presque la publicité. Comme ici…
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… ou là.
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Tiens… en 1890 une nouvelle entrée apparaît pour les fabricants de baignoires.
Ce serait le signe de l’individualisation des installations sanitaires ?
S01 – #06 bis

À partir de 1890, on voit aussi des petits cornets apparaître à côté de certaines adresses. Ça y est, Bruxelles est raccordée au téléphone ?!
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Quoiqu’il en soit, chaque année, une liste dessine le paysage bruxellois. Elle évolue, s’allonge, danse au fil des pages et des années Et les bains-douches dans une même valse apparaissent, se cachent, disparaissent, reviennent…
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Bon, avec ça, on reste exclusivement bruxello-centré, il faudra trouver les alternatives pour les autres communes de la région bruxelloise et encore plus pour les autres villes du pays.
Mais au moins, c’est sûr, Bruxelles sera cernée jusque dans ses moindres recoins.
À moins que,… à moins que,…
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Nooooooooooooooon !
De un, les Almanachs s’arrêtent en 1969.
De deux, il fallait payer pour figurer dans les Almanachs.
Combien d’établissements de bains publics ne l’ont pas fait ? Quel est le diamètre de ce trou dans les archives ? Que se passe-t-il après 1969 ?
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Pour ça, direction les archives de la ville de Bruxelles.
Lieu familier des années d’université. Je m’y sens bien. Il y a du bois, du vieux papier et des ordinateurs sur des tables pachydermes.
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Il y a aussi des toilettes planquées dans des étagères.
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Surtout, quand on sort des archives, on est au cœur des Marolles. Au sol il y a des pavés
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On fait un tour au marché aux puces de la place du Jeu de Balle et si le soleil est là aussi, on se sentirait presqu’en vacances.
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Pour remplir les trous des Almanachs, on m’indique les patentes de commerce. La patente c’est un impôt pour l’État, relevé par la commune depuis 1799 jusqu’à aujourd’hui.
Les patentes c’est assez fantastiques comme source, quand on y pense.
C’est pour ainsi dire exhaustif et le montant de la patente peut donner une idée du revenu des commerçants.
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Et là…
Première trace vraiment tangible de l’existence des bains publics, de leur matérialité.
Une ligne dans un registre et autant de baigneurs que de jours ouvrables à imaginer, autant de vapeur, d’eau chaude, de délassement, de stress, de sensations humides et de bulles de savon.
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C’est-à-dire que dans l’établissement d’Isidore Tallois, dans la rue de la fontaine, il y avait 10 baignoires.
Et dans celui d’E. Giron dans la rue des trois-têtes, il y en avait 24 et un bassin de natation, comptabilisé comme 10 baignoires.
C’est fou.
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C’est fou, oui, mais…
150 ans* 8 volumes (=seulement Bruxelles centre)* 15 minutes = au bas mot, 300 heures de dépouillement.
À multiplier d’avantage par les sections des autres communes bruxelloises…
Est-ce que je me lance vraiment là-dedans ?
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En attendant de trancher, je tombe sur un trésor :
Le fond Fauconnier ou autrement dit, une collection de « documents furtifs ».
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Commencé en 1920, il s’agit de la collecte des dépliants, réclames, ou tout autre contenu involontaire des boites aux lettres bruxelloises.
Une succession d’instantanés d’époques.
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On y trouve des remèdes pour les retards anormaux et les règles douloureuses.
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Le jeu de mosaïque offert par la marque de tissus « Tetra » dans une enveloppe en papier calque
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Une bambine portant les étendards de la croix rouge pour dire que la Belgique veut protéger votre santé.
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Et des traces de bains aussi ! Sous forme de sanicab, sanitub, sanilux ou sanibloc.
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Le petit dépliant de 1877 des bains Léopold.
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Avec ses nageurs… Ils sont mignons ceux-là.
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Plus mignons que celui sur le dépliant du cabinet de Physiothérapie et d’Électrothérapie de la chaussée d’Ixelles en tout cas !
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Je m’y perds, un peu, dans ce fond…
Le temps d’imaginer des histoires encore à faire. Je me laisse le temps de réfléchir.
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Alors plutôt que de me lancer dans les patentes, j’opte momentanément pour exploiter d’avantage la source des Almanachs.
En effet, avec les adresses des établissements qui s’y trouvent, on peut déboucher sur une nouvelle source intéressante : les permis de bâtir.
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Les dossiers de permis de bâtir se cherchent par adresse, sur des ordinateurs en rang sur les longues tables de la salle de lecture.
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Par nom de rue, on trouve des fiches, numéros impaire, paire ou inconnu.
Et avec de la chance, on espère tomber sur une mention de bains…
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… si c’est le cas, un numéro de dossier à remplir en triple exemplaire sur les fiches idoines. Oranges dans ce cas-ci.
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Recevoir un dossier d’archives c’est toujours un moment excitant.
Déjà, on a souvent attendu longtemps, de chercher, de trouver, de commander, de recevoir. Alors quand il arrive…
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Et puis, on ne sait jamais ce qui va se trouver à l’intérieur de la farde en papier, à l’intérieur de la boite, à l’intérieur de l’enveloppe, entre les lignes du registre.
C’est comme au touché-coulé, parfois on fait mouche et parfois pas.
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Pour les permis d’urbanisme des bains, il y a eu trois très beaux touchés-coulés.
Celui du boulevard Anspach, de la rue de la pépinière et celui de la rue des sables.
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Au gré des plans et des façades j’imagine les entrées, les seuils, les circuits.
Les sociabilités urbaines qui s’organisent autour d’un lieu comme les bains-douches.
Les sensations, les sons, les odeurs,…
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Ce qui me frappe, c’est l’aspect compartimenté des plans.
Les bains publics n’ont jamais été proches des hammams ou d’autres usages collectifs de l’eau. La nudité ne se donne pas à voir. Chacun et chacune, seuls face à une eau individuelle, bien à l’abri des regards derrière la porte de sa cabine.
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Après les permis d’urbanisme, pour bien faire, une recherche sur le moteur de recherche du centre d’archives et là, une porte qui s’ouvre, une nouvelle piste :
Les bains-douches dans les écoles.
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L’apprentissage de la douche comme celui des mathématiques.
Les enfants comme vecteurs pour faire entrer les pratiques d’hygiène dans les ménages des classes populaires.
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Et la question qui se forme : les bains-douches scolaires comme un modèle de bonnes pratiques ?
À creuser pour trouver la définition de ce qu’il fallait, de ce qui se devait, de ce qui se faisait…
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En attendant, la beauté d’un croquis d’architecte par le détail du carrelage métro.
À l’école n°5 de la rue de Schaerbeek, on sait maintenant qu’il y avait 8 douches, chacune pourvue d’un bac pour le savon, d’un porte-manteau en grès émaillé et d’un siège en chêne.
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Je laisse en suspens les écoles. J’ai envie de m’y plonger mais ce n’est pas encore le moment.
Verrouiller la cible, circonscrire l’objectif : J’aimerais d’abord entamer un tour d’horizon plus général de l’état des bains publics avant d’en pousser la porte.
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Je quitte à regret la grande salle de lecture d’ou s’élèvent, entre les rayonnages, les murmures des archives et les ronronnements d’ordinateurs.
Premier plongeon au cœur du sujet. Des bains insoupçonnés qui raisonnent des sociabilités du passé.
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En quittant la rue des tanneurs, mes pas m’entrainent vers la place du jeu de balle.
Je passe devant les bains de Bruxelles.
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Le service de douches est un des rares de la ville encore en activité. À 2,50€ la douche et ouvert en matinée.
Je passe la porte et m’aventure dans le couloir…
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… « Non, non, je ne me suis pas trompée, je ne cherche pas la piscine ».
Au guichet, Viviane, un tablier de travail et un accent à elle. Elle accepte que je jette un coup d’œil aux baignoires désaffectées, il n’y a personne.
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Et me revient en mémoire le documentaire radio de Corinne Dubien. (Aux douches, Corinne Dubien).
On y entend l’eau, le sèche-cheveux et le tintement du carrelage. Un instantané des usages en 2013.
Tellement de questions encore. Qui pour tourner les robinets en 1954 ?
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L’après 1969 et l’en-dehors de Bruxelles. Il m’en reste des choses à voir, à chercher, à trouver.
L’eau a seulement commencé de couler…
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En attendant, si vous avez fréquenté des bains publics, si ces quelques lignes évoquent des souvenirs, font remonter du passé odeurs, sons et images, je serais très intéressée de les recueillir.
Sur l’adresse bainsdouches.hist@gmail.com, en commentaire ou sur twitter, n’hésitez pas à réagir, à déposer quelques pans de votre mémoire savonneuse.
À très vite pour la prochaine saison !