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Saison 3 : Baignoires Gantoises

S03 – #01

Avec la rentrée, on reprend le fil et on raccroche le bain en marche.

C’est reparti pour notre enquête au fil de l’eau, des bains-pubics, de leurs usagers et de “Mais comment on se lavait en fait avant?”

S03 – #02

On s’était quitté sur quelques cartes postales mais surtout sur un inventaire général !

Sur base des rapports du CSHP, des journaux et des inventaires du patrimoine, on avait réussi à dresser une liste des établissements de bains publics pour les villes belges entre 1850 et 2000.

S03 – #03

Tout le déroulé est à retrouver ici pour ceux qui n’ont pas suivi.

S03 – #04

Parmi les différentes villes, celle de Gand m’a parue particulièrement intéressante.

Déjà, c’est là qu’on peut y admirer le plus vieil établissement du pays encore sur pieds et en fonctionnement.

S03 – #05

Il s’agit des Bains Van Eyck.

Construits en 1886 grâce à une sorte de partenariat entre privés (des mécènes hygiénistes) et publique (la ville), ils rendent accessibles aux classes ouvrières un bassin couvert et des baignoires individuelles.

S03 – #06

C’est un peu le pendant des Bains économiques de la rue des tanneurs à Bruxelles (1854).

S03 – #07

Bref, c’est cette première génération de bains publics qui voit le jour dans la deuxième moitié du 19e siècle sur base du modèle anglais, souvent issus d’une association entre les villes et un patronat progressiste (et bienveillamment paternaliste).

S03 – #08

Me voilà donc en route pour Gand.

Dans la gare, il faut lever les yeux au plafond de la salle des pas perdus.

S03 – #09

Il faut changer de quai aussi, parce que les archives de la ville se trouvent à côté de la station Gentbrugge.

S03 – #10

Tiens, d’ailleurs, ça me dit quelque chose Gentbrugge…

Un bain-douche dans les parages ?

S03 – #11

A Gand,

comme souvent en Flandres,

il y a des vélos partout.

S03 – #12

Ils rendent les maisons plus coquettes.

C’est le charme de la bicyclette…

S03 – #13

À Gand, le centre d’archives s’appelle la « Zwarte Doos ».

J’aimerais y trouver des homologues aux Almanachs bruxellois. Commencer par un annuaire pour un aperçu général et recouper les informations trouvées dans les journaux.

S03 – #14

Il y a ce qu’on appelle les « Gentse Wegwijzers », qu’on peut traduire par les « Guides pratiques de Gand ». 

Ils existent depuis 1770 et courent jusqu’en 1972.

S03 – #15

En 1850, il y a une entrée à « Badhouders » (que je traduis par tenancier/propriétaire de bains).

Mais pas grand monde au rendez-vous…

S03 – #16

En 1917, l’entrée est à « Badgestichten » (que je traduis par établissement de bains).

Il y en a six. Tous connus au bataillon. C’est bizarre parce que les journaux parlaient de beaucoup plus d’installations.

Les Wegwijzers ont l’air de ne reprendre que les piscines.

S03 – #17

Ha, en 1972 par contre, des nouvelles têtes et une entrée séparée pour les « stortbaden » (bains-douches).

En tous cas ce qui est sûr, c’est que ces guides pratiques de la ville sont incomplets…

S03 – #18

Je ne retombe pas sur une série d’écoles pourtant renseignées dans les journaux comme accessibles aux habitants du quartier à certaines heures.

S03 – #19

L’archiviste m’indique la Série G, celle des « Openbare en private werken ». Neuf énormes classeurs bleus aux tableaux à rallonge en police 8. Bon…

Ha ? Il y a quand même une base de données informatisée avec une partie des dossiers ?

Hé bien, on va plutôt commencer par là …

S03 – #20

Je fais une liste des dossiers à consulter et en commande quelques-uns mais je ne la sens pas cette série. Je suis à peu près sûre que ce ne sont pas les informations que je cherche.

S03 – #21

Alors je fais le tour des autres inventaires et je tombe sur la série S et XVIII (oui ça a des allures d’agents secrets parfois).

Elle s’intitule « Openbare gezondheid », autrement dit « santé publique ».

Je sens qu’on touche quelque chose ici…

S03 – #22

Bingo !

Un paquet d’entrées se rapportent aux installations des piscines. Ce n’est toujours pas les écoles, mais les titres des dossiers promettent un contenu nettement plus intéressant.

Peut-être trouverai-je enfin des bribes d’usages et de fréquentations ?

S03 – #23

En ouverture du premier dossier, égaré, un dessin au brouillon sur le verso d’une feuille de registre.

Je le savoure, comme une toute petite friandise au parfum de violette.

Il s’agit d’un « croquis pour matériel de bain à domicile ».

S03 – #24

Sans date, difficile à mobiliser, on devine pourtant
la traction animale,
une machine mobile à chauffer l’eau,
un robinet et des seaux pour la distribuer,
une enseigne sur la voiture

S03 – #25

Un éclat furtif et tout le passé d’avant l’eau courante et d’une distribution d’eau chaude à domicile qui scintille sous mes yeux.

S03 – #26

Plus loin, une requête de « L’Épouse Peeters », qui « Au nom de quelques dames habituées de l’Overzet », demande en 1917 d’autoriser les femmes à pouvoir se baigner tous les jours dans la rivière plutôt que seulement deux fois par semaine.

Car, dixit auteure de la lettre :

S03 – #27

En effet, au début des années 1920, ça bouge :

c’est le début des bains mixtes.
En 1923 à l’Overzet, hommes et femmes sont autorisés à se baigner ensemble dans la rivière.

S03 – #28

Dans le bassin par contre, les horaires restent distincts mais les femmes ont autant de plage horaire que les hommes.

C’est pas mal ça parce que souvent, les horaires pour les femmes sont plus restreints.

S03 – #29

Cela dit, en 1945, il est encore préconisé que

« Les baigneurs doivent porter un maillot de bain approprié. Pendant les bains mixtes, le port du petit pantalon en triangle ou “slip”, ainsi que des costumes de bain blancs, est interdit ».

S03 – #30

Aujourd’hui, en Belgique, les hommes sont obligés de porter des maillots courts et moulants. C’est rigolo, c’est assez récent en fait.

Les guillemets qui entourent le mot « slip » laissent d’ailleurs penser à la grande nouveauté en 1945 de la chose et du terme.

S03 – #31

En avançant dans les archives de la série « Santé publique » je trouve le règlement d’ordre intérieur des piscines de 1941.

Il est dit que les personnes ivres et malpropres ne seront pas autorisées à entrer.
Il est interdit d’entrer avec des chiens ou des vélos.

S03 – #32

En 1945, des usagers, « qui ne peuvent pas se permettre le luxe d’aménager une salle de bain dans leur petite maison », se plaignent.

Selon eux, le mot « chaud » pourrait bien être supprimé des tickets d’entrée puisqu’il est impossible d’avoir un bain chaud passé 16h00.

S03 – #33

Il y a tout un dossier sur les bains publics du quai de la Biloque.

Ceux-là, sont aménagés en 1899 à la place du service de bains de l’Hôpital Général.

S03 – #34

Il comprend douze cabines de 1ère classe et quatorze cabines de 2ème classe, avec entrée séparée. Au départ, ça a l’air d’être un service partagé entre la ville et l’hôpital.

S03 – #35

Dans cet établissement, 16.665 bains de 1ère classe à 2,30 francs et 19.505 bains de 2ème classe à 1,40 francs, soit 36.170 bains ont été donnés en 1927.

Ça fait une moyenne de 115 bains par jour
(en comptant un jour de fermeture).

S03 – #36

L’établissement connait un excédent de ses dépenses de 26528,55 francs.

Dans ses dépenses il y a notamment 1100 kilos de paille à 594 francs.

S03 – #37

De la paille ?

S03 – #38

Dix ans plus tard, c’est 10.279 bains de 1ère classe à 2,5 francs et 12.889 bains de 2ème classe à 1,5 francs, soit une moyenne de 73 bains par jour.

Les dépenses dépassent de 27.668, 3 francs les recettes. Il y en a pour 75 francs de lessive des 500 essuie-mains.

S03 – #39

Les bains publics de la Biloque ferment le 15 mai 1940.

De cet évènement, on sait juste la phrase suivante : « De afschaffing is gebeurd in gemeen overleg met het Stadsbestuur » (« L’abolition a été faite en consultation avec le conseil municipal »)

Pas grand-chose donc…

S03 – #40

Les « Jaar Verslagen » sont la dernière série d’archives que j’investigue.

Dans ces « Rapports Annuels » sur les activités de la ville, on retrouve les chiffres de fréquentation des différentes piscines.

S03 – #41

C’est assez génial.

Je les passe en revue à partir de 1886.

S03 – #42

Avec toutes ces informations, le paysage balnéaire gantois s’éclaircit.

Un extrait de la « Revue Municipale. Recueil hebdomadaire d’Études Édilitaire pour la France et l’Étranger » de juillet 1901 confirme mon sentiment.

S03 – #43

(j’aime bien le côté pompeux de toutes ces majuscules).

S03 – #44

L’article dans la revue décrit la ville de Gand comme un exemple à suivre :

une ville possédant un réseau original d’infrastructure de bains, « un réseau complet d’installations hygiéniques à la portée de toutes les bourses ».

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En plus de ça, la ville publicise régulièrement les horaires, tarifs et jours de fermeture des bains-douches via les journaux.

On retrouve donc à Gand…

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L’Overzet (1838-1961), un établissement de bain en eau de rivière construit par Constant Dossche et repris par la ville en 1912.

S03 – #47

Les Bains Van Eyck (1899-…), composés d’une piscine couverte et d’un service de baignoires.
Et les bains-douches (baignoires et douches) du quai de la Biloque (1899-1940).

S03 – #48

Six Bains-douches scolaires accessibles au public :

Acaciastraat (1899-1946) ;
Muinkbrugstraat (1899-1972) ;
Meulestede Steenweg (1900- 1972) ;
Wasstraat (1914-1972) ;
Kleine Ramen School (19301946) ;
Palmboomstraat (19321940) ;

S03 – #49

Un établissement de bains privés Place du commerce (1900-1928)

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Il y a aussi le zwembassin van Heuvelpoort, autrement dit le « Strop » (1901-1993).

Pendant longtemps une piscine en plein air, il est l’objet d’une profonde transformation entre 1968 et 1971, et devient une piscine couverte avec service de bains-douches.

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On retrouve encore le « Tolhuis » (1914-1966),

un établissement privé repris et géré par la ville, composé d’une piscine couverte et d’un service de baignoires.

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Plus tardivement, il y a aussi une infrastructure de douches, Dracoenastraat (1951-1988), liée au centre sportif « Jan Yoens » mais accessible au public.

S03 – #53

De même, les douches publiques de la Wolterslaan (1967-1996) abritaient également une buanderie et une cantine populaires.

En 2017, les fenêtres du bâtiment abandonné ont été recouvertes par des grandes photos des maisons des habitants du voisinage.

S03 – #54

Et finalement, la nouvelle piscine communale Rooigem.
Inaugurée en 1962, elle est pensée sans service de bains-douches, tout comme de nombreuses piscines bruxelloises de ces mêmes années.

S03 – #55

À ce moment-là, la piscine bascule dans un champ des loisirs, conçu de plus en plus distinctement de celui de l’hygiène.

Et dans les années 1950-1960, les Jaar Verslagen constate une fréquentation toujours en baisse des douches publiques, une « permanente regressie ».

S03 – #56

Ça me parait trop simple comme explication. Difficile d’ailleurs de s’avancer parce que les chiffres des Jaar Verslagen ne sont pas complets…

Mon graphique a trop de trous…

S03 – #57

La seule explication qui est donnée c’est la généralisation des salles de bains à domicile.

Ce serait vraiment bêtement ça la raison de la disparition des bains-douches ?


Mais… Disparition, vraiment ?

S03 – #58

En cherchant, je trouve le dépliant du service de bains de la piscine Van Eyck.

Il fonctionne encore aujourd’hui et un coup de fil à la piscine me confirme qu’il est encore quotidiennement fréquenté!

Ce qui est étonnant c’est qu’il y a 11 baignoires pour seulement 2 douches.

S03 – #59

Oui parce que souvent, les douches ont remplacé les baignoires pour des raisons vraisemblablement économiques et pratiques.

Ça me fait du coup penser à une remarque de la femme qui tient un des deux derniers bains-douches de Bruxelles.

S03 – #60

J’ai visité cette piscine avec des collègues qui travaillent sur la précarité hydrique et l’accès à l’eau dans la capitale.

S03 – #61

À l’accueil, des fleurs décorent le bureau.

C’est justement un client du service des douches qui les apporte chaque semaine en cadeau.

S03 – #62

Le matériel d’entretien reste dans le hall pendant que nous discutons.

Il en faut des choses pour laver des bains-douches.

S03 – #63

D’ailleurs les installations sont reluisantes, toutes neuves.

Rien à voir avec celles des Marolles.

S03 – #64

Pourtant peu de gens les fréquentent nous raconte ce jour-là la dame qui nettoie.

S03 – #65

Faut dire que le service n’est pas très visible.

C’est une toute petite affiche qui indique les horaires sur la porte d’entrée…

S03 – #66

… et au-dessus du couloir, il n’y a juste pas de panneau indiquant le service.

S03 – #67

Mais selon la dame d’entretien c’est surtout au moment où on a remplacé les baignoires par des douches (2002-2007) que les usagers se sont faits moins nombreux.

Le luxe d’une baignoire, la détente qu’elle procure, la suspension du moment…

À cela, je n’y avais pas pensé. 

S03 – #68

Alors que les bains Van Eyck aient maintenu dans leur rénovation de 2003 un nombre plus important de baignoires et que la ville continue de pratiquer des tarifs nettement plus avantageux pour ses habitants les plus fragiles (étudiants, chômeurs et personnes âgées) :

ça m’interloque !

S03 – #69

Encore aujourd’hui, la ville de Gand communique et informe sur les lieux où prendre une douche,

là où Bruxelles laisse aux associations et collectifs (infirmiers des rues, surviving Brussels) le soin de faire connaitre ces services.

S03 – #70

Pas sure que la complexité bruxelloise (une ville en forme de région, formée par plusieurs communes) peut seule expliquer ces différences de prise en charge, d’assistance et de facilité d’accès à l’eau.

S03 – #71

La différence de politique urbaine me saute aux yeux :

Des choix ont été faits dans le maintien ou non d’un service tel que les bains-douches et ces choix sont différents en fonction des villes.

S03 – #72

À petits pas, comme ceux des passants de la gare Sint-Pieter, je dépouillerai les archives de Gand en prenant mon temps,

la quête des bains continue !

S03 – #73

Du train,

je traque les signes dans le paysage pour confirmer la piste sur laquelle je m’engage.

S03 – #74

D’histoires d’eau en récits de baignoires,
n’hésitez pas à partager vos expériences d’eau chaude.

S03 – #75

A très vite pour une nouvelle saison.

Mais aux odeurs de charbon cette fois.