S07 – #01

Je me suis toujours dit qu’organiser une exposition ça devait être plutôt chouette. Une manière, même conventionnelle, de raconter ce qui reste d’habitude enfermé dans des articles et ouvrages scientifiques aux audiences minuscules. Une forme de partage, d’échange.
S07 – #02

Il y a quelques temps, avec deux collègues spécialistes des relations entre l’eau et la ville, nous avons été sollicitées par « La Fonderie » pour être les commissaires d’une exposition commanditée par la société publique de distribution d’eau à Bruxelles : Vivaqua.
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« La Fonderie », elle se situe rue Ransfort, à Molenbeek.
Il s’agit du musée bruxellois des industries et du travail, d’un centre de recherche et de documentation sur le même sujet et d’un service d’éducation permanente.
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Avant ça, entre 1860 et la fin des années 1970, il s’agissait d’une prestigieuse fonderie d’art : « la Compagnie des Bronzes ».
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Aujourd’hui, sur leur site internet, il est question de passé industriel, de richesse patrimoniale, de végétation conquérante et de poésie des ruines.
C’est un peu tout ça en même temps…
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Vivaqua est l’intercommunale de production et distribution d’eau potable opérant dans la région de Bruxelles-Capitale. Elle s’occupe aussi en partie de la collecte et de l’assainissement des eaux usées.
C’est elle aussi qui soutient financièrement l’exposition.
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Il sera donc question de son histoire et de son travail mais aussi beaucoup d’eau, de ses usages domestiques et urbains et donc un peu de bains publics.
L’affaire est conclue : « Bains-douches : l’enquête ! » ça passera aussi par un musée.
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Pour s’inspirer, le mieux est encore une escapade. Au programme c’est excursion. À quelques encablures de la rue Ransfort, nous voici à la Porte d’Anderlecht, dont les deux pavillons, reliés par un passage en égout au sous-sol, ont été transformés en musée…des égouts.
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Dans le pertuis de la Senne,
on suit la trace du rat
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Et celle de la mer.
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Avec la conservatrice, on découvre aussi l’envers du décors et les objets cachés.
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Mais à quoi ont bien pu servir des serre-joints aussi énormes ?
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Déjà les pistes se multiplient.
Il va y en avoir des choses à raconter du poids des vêtements des égoutiers, à l’invasion des crabes chinois en passant par les « canalisations fantômes »…
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Après Bruxelles, direction Gand.
Car à Gand se trouvent le musée de la vie quotidienne « Het Huis van Alijn » et l’exposition temporaire « Sous terre en ville ». Dans le train, avec ma collègue Ananda, on embarque nos vélos et c’est parti.
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Pareille à elle-même, la ville se décline en mode estival.
Et les vélos roulent en pagaille le long des canaux.
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À la maison d’Aline, j’y avais déjà été il y a longtemps.
Je me souviens d’archives familiales et de vidéos dans un grenier douillet. Devant mes yeux émus les vies d’anonymes défilaient au rythme des rituels quotidiens.
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Le parcours a changé, le musée s’est refait une beauté.
En suivant le fil du calendrier, on retrouve dans chaque pièce des moments anodins et importants.
Ceux qui ont fait les vies des gantois·es au 20e siècle, de leur naissance aux durs réveils des lundis matins…
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… en passant par la communion, la discographie adolescente, le service militaire, l’école, le mariage et les déménagements.
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Je retiendrai surtout l’appareil dit le « Millecroquettes » incarnant les repas du dimanche midi d’une Flandre orientale en pleine Golden sixties.
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En passant, j’apprends une information de taille dans la pièce consacrée aux déménagements : en 1948 en Belgique, la Loi De Taeye prévoie des primes à la construction de maisons neuves mais elle en conditionne l’obtention par l’obligation d’installer une salle de bains.
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Le début de la conquête des salles de bain individuelles a donc une année de naissance en Belgique :
c’est 1948.
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On termine la visite par la pièce consacrée au ménage. Dans la vitrine, savons, produits et appareils s’étalent devant nos yeux.
Pas très loin des bains publics, une succession de films d’anonymes nous montrent la lessive des grands jours et son évolution.
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Après la Kraanlei, on reprend nos vélos en direction du Stad Museum van Gent, autrement dit le STAM. Il se trouve sur le site de la Biloque, un ancien hospice.
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Mais aussi : un ancien bain public ! Je vous en avais déjà parlé ici.
Je cherche en passant, mais rien de visible sur les façades en bord de quai. Je demanderai dans le musée si j’en ai l’occasion.
S07 – #25

L’entrée de l’exposition se fait avec Alice.
On la voit rentrer dans un tunnel sous-terrain et tomber dans un trou infini qui s’enfonce toujours plus profondément dans les entrailles de la terre. Ça y est, nous voici dans les sous-sols.
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De là, c’est l’exploration. Des blockbusters aux voleurs de haut-vol ; de la nature des sols aux silhouettes des villes…
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… des réseaux qui passent, filent et s’entremêlent à Sainte Barbara, protectrice des mineurs et des égoutiers…
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… De Gand il y a 250 000 ans à Namazu, le Silure géant sur lequel se sont construites les îles du Japon…
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Ça en fait du monde et du bazar juste là, sous nos pieds.
On croise aussi quelques égoutiers et plusieurs bonnes idées pour une exposition en devenir.
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Tiens, est ce que ce ne serait d’ailleurs pas justement notre schéma introductif, là, accroché au mur, juste sous nos yeux ?
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Avant de partir, je demande à la dame du musée si elle peut m’en dire plus sur le bain public qui a existé au quai de la Biloque et surtout dans quelle aile du bâtiment se trouvait-il.
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À ma grande surprise, elle n’a pas connaissance de l’existence de cette institution. Le spécialiste des lieux qu’elle appelle de suite non plus.
Comme quoi… la mémoire des bains est courte. Il y a encore des choses à raconter sur ces établissements largement méconnus.
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On prend le temps d’un verre avant de remonter dans le train.
Il faut dire que les transats nous font de l’œil et que l’ambiance est vacancière.
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Pourtant, il ne s’agit pas de trainer, la réunion avec le Comité scientifique et pédagogique c’est bientôt.
Et d’ici là, il faut imaginer un « scénario », identifier les « expôts », savoir ce qu’on veut dire et quelle « médiation » utiliser.
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La conception d’une exposition c’est en effet tout un jargon que je ne maitrise pas forcément.
On me parle « d’intentions » et de messages, de « dispositifs médiatiques » et de « postures du visiteur ». On me parle de scénographe aussi.
Incroyable…
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Avec mes deux collègues on se répartit le travail selon nos sujets de prédilection.
Je m’occupe donc de la partie « Usages » de l’eau, après son captage, son adduction et son traitement et avant son assainissement et sa course vers la mer.
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Ce qu’on veut montrer c’est la complexité sous la simplicité apparente du robinet. C’est déconstruire l’évidence de nos systèmes d’approvisionnement et d’évacuation ainsi que nos usages de l’eau.
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En bref, on veut mettre en évidence la mise en relation historicisée entre infrastructures, métiers, objets et usage(r)s qui explique le réseau contemporain. Mais bon… on va surtout essayer de le dire plus simplement…
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Pour ma part, j’oriente le propos sur les usages de l’eau en lien avec l’hygiène.
Il est de plus en plus clair que l’eau dont on parlera est celle des ménages et du domestique. C’est pour cette consommation-là d’ailleurs que le réseau a été conçu à l’origine.
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De retour à la maison, je pianote et me promène sur la toile.
Avec quelques mots clés je trouve plusieurs pépites du musée « het huis van Alijn ». Comme celle-ci.
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Ou celle-là.
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Il y a même une vidéo qui a été tournée dans les bains publics du Tolhuislaan en 1938 !
(même si c’est dommage, on ne voit que la piscine en plein air).
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La beauté de ces images et le silence qui les accompagne, ça me bouleverse.



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En cherchant des iconographies de salle de bains à travers les âges, je tombe sur le site du MODA, le « Museum of Domestic Design & Architecture ».
Il y a quelques belles photographies de la deuxième moitié du 20e siècle.
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J’écoute notamment celui dans lequel intervient Jane Hamlett sur les espaces domestiques.
Jane Hamlett est historienne. Elle a écrit ce livre fantastique qui m’a accompagnée tout au long de ma thèse.
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L’importance de la matérialité des espaces, ce qu’ils impliquent pour les individus qui les habitent, la nécessité de s’intéresser aux choses lorsque les voix nous manquent…
j’aime beaucoup ce qu’elle écrit.
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En pianotant de plus belle, je trouve ce site. J’en tombe même un peu de ma chaise :
Mais comment est-ce possible que je ne sois pas tombée dessus plus tôt ?!
Ce n’est pas faute d’avoir tapé « public bath » dans les moteurs de recherche. Internet et ses mystères…
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C’est la lecture de la thèse de Jennifer Reed-Dillon qui m’avait mis la puce à l’oreille.
Elle citait une certaine Wilkerson, femme à l’origine de la création du premier bain public anglais à Liverpool. Le premier bain public avait enfin un nom, une genèse.
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Oui parce que jusqu’à présent, je n’avais lu que des phrases du genre :
« les premiers bains publics ont été créés en Angleterre à Liverpool ». Et Pouf, un coup de baguette magique, les voilà.
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S07 – #51
En lisant davantage sur l’eau et la mise en place de son réseau de distribution, je suis interpellée par le nombre de renvois aux épidémies de choléra du 19e siècle.

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Le développement des habitations ouvrières décentes ? Le choléra
Le voutement de la Senne à Bruxelles ? Le choléra
La mise en place d’une buanderie partagée par Wilkinson à Liverpool ? Le choléra
Le vote de la loi sur la santé publique en Angleterre en 1848 ? Le choléra
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Les Créations de systèmes modernes d’approvisionnement en eau et d’assainissement ? Le choléra
Les Création de commissions sanitaires et techniques pour la prévention des épidémies ? Le choléra
L’Hausmannisation de Paris ? Le choléra
La construction de bains publics ? Le choléra
…
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Je nous laisse imaginer ce qu’on attribuera au Covid-19 et autres SRAS au siècle prochain…
S07 – #55

Mais ça y est, la réunion avec le Comité scientifique et pédagogique c’est aujourd’hui.
Nos propositions de scénarios et de contenus font une trentaine de pages et on est curieuses de voir les retours et échanges qu’elles susciteront.
S07 – #56

En chemin vers La Fonderie, je m’arrête pour prendre en photo le numéro 74 de la rue Ransfort.
Là se trouve le plus ancien établissement de douches publiques de la ville encore existant. Installé au sein d’une école, il a été ouvert au début du siècle.
S07 – #57
En 1911, le journal « Le Peuple » relatait que « 250 enfants des écoles en jouissent journellement »
et que « d’ailleurs les habitudes d’hygiène pénètrent dans les mœurs ; on peut citer ce fait qu’en un seul jour quatre cents ouvriers sont allés prendre des bains-douches ».

S07 – #58

Elles ont dû en voir passer des habitant.e.s du quartier, ces douches !
Sur la porte, les horaires indiquent différentes catégories d’usagers. Les marques de papier collant témoignent des adaptations successives.
On y entrera pas cette fois-ci. Mais peut-être la prochaine fois ?
S07 – #59
« Bains-douches : l’enquête ! » c’est fini pour cette semaine. La suite de l’exposition ce sera dans quelques mois. L’ouverture est prévue en septembre 2021. D’ici là, à très vite pour de nouvelles saisons !
